ANTHONY
MAHOUNGOU



À la Courneuve, le long du 124 rue Anatole France, deux poteaux blancs, en forme de Y, s’élèvent derrière les buissons. Géo André, l’un des rares complexes sportifs de football américain du pays, est planté là, au milieu d’une zone industrielle. Ce stade est le terrain de jeux des Flash, l’équipe made in Seine-Saint-Denis. Championne de France en titre et pilier Européen.

Sur la pelouse synthétique, deux petits du quartier tapent dans un ballon, tandis que leurs ainés bronzent, affalés dans des chaises de camping qui brillent au soleil.  

Perché dans les modestes gradins, Anthony Mahoungou, un grand bonhomme d’1m90, enfile la panoplie complète, avant de rejoindre le terrain. Épaulière et casque visé. Un playboy façon RoboCop. Le garçon est un pur produit des Flash de la Courneuve. La fierté du club même. Il a réalisé ce que beaucoup n’osent rêver. Devenir professionnel et jouer en NFL, la ligue de foot US. Un frenchy chez les ricains.
Tout débute pour lui dans un quartier emblématique des grands ensembles à la française, la cité d’Inter Centre Ville de la Courneuve. Sur le parvis, Anthony s’est formé dès le plus jeune âge au football, celui du ballon rond. Avec les copains, il avait pour habitude de faire un crochet sur le gazon des Flash, histoire de provoquer les aînés et se moquer de leur accoutrement. Jusqu’au jour où il découvre que son grand frère, Axel, fait partie de ces joueurs raillés. Ce dernier lui fait lire «Eyeshied 21», un manga japonais dont l’histoire tire le portrait d’un mystérieux Running Back, d’une équipe de football américaine. Anthony, le petit caïd, se mue en geek et découvre les règles de ce sport pratiqué outre-Atlantique. Il s’identifie au personnage de Panther, « l’homme aux jambes anti-gravité ». Comme lui, il veut devenir un joueur offensif.

Quelques mois plus tard, le voici endimanché d’un casque noir, frappé d’un éclair Jaune. L’emblème des Flash. Son poste, Wide Receiver. Aligné sur les ailes, au départ de chaque action, Anthony doit faire parler sa vitesse pour recevoir les passes des Quaterback et emmener l’ovale dans l’en-but adverse. Il évoluera quatre années sous la tunique de son club formateur, dont trois saisons invaincu. Affligeant au passage quelques déculottés aux Black Panthers de Thonon les Bains, Spartiates d'Amiens ou les Centaures de Grenoble. Sur l’étagère de sa chambre d’adolescent, les trophées ont remplacé les Mangas.

Mais « The American Sport » manque d’exposition en France et seuls les joueurs étrangers sont payés. Anthony se sent à l’étroit dans le neuf-trois. Alors, un bac scientifique en poche, il décide de tout plaquer, fait la plonge dans un restaurant pour coffrer et contracte un prêt étudiant pour se payer l’université. Direction l’autre continent. Le rêve américain.

À vingt ans, l’aventure aux States commence à West Hills College, dans la ville de Fresno, en Californie. Ici, le sport n’est plus un loisir, il paye les études. Objectif, décrocher la bourse athlétique, spécialité Kinésiologie. Il n’a qu’un semestre d’économie pour faire ses preuves. Un « One shot » comme on dit. Et pour pimenter le tout, Anthony découvre, une fois installé, que sa mère a des problèmes de santé. Alors, le garçon va encaisser, répéter ses gammes jour et nuit et poncer la salle de musculation pour se façonner.

Pour sa première saison, il va claquer quarante réceptions, huit cents yards et neuf touchdowns, histoire de se faire respecter. Le genre de statistiques qui tapent dans l’œil des universités de première division.

La saison suivante, il pose ses valises dans l’Indiana, à la Purdue University. Anthony porte le numéro 21, le Teddy et les groupies qui vont avec. Il évolue dans une faculté dont les infrastructures sportives n’ont rien à envier des équipes de NFL. La démesure. Un vestiaire de cent places, quatre salles de cinéma pour refaire le match, autant de coachs qu’il n’y a de postes sur le terrain. L’Amérique quoi.

Ses débuts seront compliqués. Il cire le banc au côté des remplaçants, handicapé par des blessures à répétition, pendant deux ans. Shepard, le coach des receveurs, ira jusqu’à l’afficher en l’appelant « Frenchy » pour le réveiller.
Moment de vérité, la troisième et dernière saison. Finale de la « Foster Farms Bowl », le match le plus attendu de l’année. Le Super Bowl version universitaire. Purdue contre Arizona. Anthony retrouve sa place de titulaire. Dès les premières minutes, il marque un Touchdown depuis la zone des 20. À la mi-temps, Purdue mène de deux possessions. Mais au troisième quart temps, Anthony se déboîte l’épaule, en allant au contact avec un adversaire.  Le coach le remplace. Baisse de régime général. L’équipe sombre. Arizona 35 - Purdue 31. Dans les deux dernières minutes, le numéro 21 revient sur le terrain. Il sent que ça coince, mais le coach donne le jeu suivant. Il faut marquer pour l’emporter. Un «One shot», encore un. Elijah Sindelar, le quaterback des Purdue, envoie une bastos depuis la zone des 40. Anthony, les yeux rivés sur la balle, s’élance au milieu du chaos, tandis que son épaule lâche. « S’il y a bien une action que je dois réussir, c’est celle-là », se dit-il. Mahoungou tend le bras en direction de l’ovale qui vient se loger, comme par magie, dans le creux de sa main, emmenant ses cent kg et son adversaire, dans la zone d’en-but, tel un bulldozer. Les spectateurs, euphoriques, envahissent le terrain pour célébrer la victoire. Au passage, il en profite pour devenir le premier receveur de sa faculté depuis 2004 à gagner le titre de meilleur joueur offensif de la conférence. Rien que ça. 

Puis vient le jour le plus long, la Draft. Une grande loterie où toutes les équipes de la ligue de foot US viennent faire leur marché dans les universités. Alors qu’il était en tribune pour supporter sa petite amie de l’époque dans un match de baseball peu passionnant, Anthony est greffé à son téléphone. Malgré sa finale de la « Foster Farms Bowl », son nom ne circule pas. La désillusion, dans un premier temps, avant de recevoir un appel des Eagles de Philadelphie, deux heures après la clôture de la Draft. Au menu, un contrat de « free agent » avec l’équipe vainqueur du Super Bowl. Le deal est clair, Anthony a toute la pré-saison pour faire ses preuves et intégrer l’équipe première.  

Alors le « Rookie » ne se ménage pas. Direction Los Angeles pour un entraînement intensif avec les grands de ce sport. Juju Smith-Schuster des Steelers, Adoree Jackson des Titans, Robert Woods des LA Rams.

Mais, de retour à Philadelphie, la concurrence fait rage. quatre vingt dix joueurs pour cinquante trois places. Pas étonnant de voir d’autres Rookies filer des conseils bidons, pour s’afficher devant le coach et perdre des points précieux en vue de la sélection. Mahoungou joue douze actions de jeux lors des trois premiers matchs de pré-saison. Il a été ciblé une fois, sans pouvoir rattraper la passe. Avec 12 receveurs dans l’effectif, il est difficile pour un Frenchy de s’imposer. On le « Cut » un mercredi matin, lors d’un meeting expéditif, alors que la veille, son coach l’avait aligné contre New York. À la sortie du bureau, ses affaires sont pliées et son vol booké. Retour à Purdue. Une autre mentalité.

Hors de question de revenir en France. Pour Anthony, ce serait un échec. Mais son visa étudiant arrive à expiration. En Juillet 2019, il rejoint la Franckfort Universe, en Allemagne, pour se remettre en jambe. Il retrouve le goût de la titularisation, le temps d’une fin de saison.

Janvier 2020, il est sélectionné en CFL Combine, un camp d’évaluation, pour intégrer la ligue Canadienne. Sa chance de pouvoir revenir en NFL. Mais la pandémie en aura décidé autrement. La saison et la draft sont reportées à Novembre 2020. Alors Anthony est rentré à la Courneuve. Et comme au bon vieux temps, histoire de tuer le temps, il s’entraîne sur la pelouse du 124 rue Anatole France et joue le porte-parole auprès des gamins du quartier, avant de pouvoir retourner sur l’autre continent.


Photos & texte - Julien Soulier Style - David Bellion Coordination - Pascale Savary

Photo 1 & 3- Crampons Air Jordan Photo 2 - Lunettes Oakley, blouson Facetasm, chemise Filling Pieces, pantalon Léandre Lerouge, baskets Air Jordan. Photo 4 - Débardeur Nike Photo 7 - Bandeau et gants Dior Photo 8 - Blouson double zip Dior, gants cuir et perles Dior, crampons Air Jordan. Photo 9 - Chemise Léandre Lerouge Photo 10 - Veste Nike ISPA, short Nike ACG, sacoche Dior, chaussettes Facetasm, chaussures Nike Photo 11 - Col roulé, pantalon, manteau et sacoche Dior Photo 12 - Chemise Dior thermo imprimée