AXEL ALLETRU



C’est l’histoire d’un grand espoir du motocross français, qui voit sa vie prendre un autre virage à l’âge de 20 ans, après un accident en compétition. Une histoire comme il en existe tant dans ce milieu. Mais celle d’Axel Alletru ne s’arrête pas à l’annonce de sa paraplégie. Récit d’une reconstruction. L’art de se relever dans le sport comme dans la vie.  

À Lille, dans le jardin de la famille Alletru, Axel, cinq ans, passe ses après-midi à déraper sur la pelouse. Le vélo remplace la tondeuse. Passionné de BMX, il débute au LUC, le club de la ville. À un âge où l’on ride encore avec les petites roues, lui, monte sur des podiums. L’enfant enchaîne les bons résultats en compétition, voyageant de l’Australie au Canada, avant de s’attaquer au championnat du monde Junior, devant plus de dix-mille personnes. Précoce.

Comme chaque année, Axel a l’habitude d’embarquer dans le pick-up familial pour voir Jean Marie, son père, prendre le départ de l’Enduro du Touquet, la plus longue course de motocross sur sable du monde.  
Perché sur les dunes du Pas-de-Calais, le petit blond, est fasciné par cette marée de mecs casqués, qui vient déchirer les plages de la Côte d’Opale avec leurs grosses cylindrées. Devant ce spectacle parfois chaotique, Alletru se rêve en motard, comme papa. Point de départ de son aventure en deux-roues.

Après de nombreuses négociations pour piloter, père et fils font un deal. Si Axel prouve qu’il peut remporter un titre majeur en BMX, il aura sa première bécane. Chose faite en Allemagne, à huit ans. Le gamin décroche le Graal en championnat d’Europe. Allant jusqu’à vexer le paternel, préférant négocier les courbes plutôt que de sauter les doubles bosses. « Les sauts pour la galerie, les virages pour la monnaie » comme on dit dans le jargon.

Du pédalier à la cylindrée, le gap était minime pour Axel. En 2009, après avoir fait ses armes en catégorie junior, l’enfant unique devient pilote de motocross professionnel. À dix-huit ans, Alletru part en go fast, direction la Hollande et intègre la team KTM. L’adaptation n’est pas évidente, loin des siens. De plus, le temps le déprime. Le comble pour un mec du nord. L’ado enchaîne quinze épreuves à travers le monde. Catégorie MX2. C’était la génération des Marvin Musquin, Gautier Paulin, Valentin Teillet. Les adversaires-copains. Une des plus belles cuvées du motocross français.

Puis, vient cette septième étape du championnat du monde à Kegums, en Lettonie. Un terrain caillouteux, une terre meuble, peu d’ornières. Axel termine les qualifications comme un manche, à la vingt-quatrième place. Devant ses parents qui ont fait les trois-mille kilomètres pour le voir rouler.

À charge de revanche, le lendemain, dimanche 27 juin 2010, il s’élance au fond de la grille. Après un départ réussi, Axel se retrouve à la cinquième place, au taquet sur sa 250 cc. Le pilote ferme la porte à son concurrent. Il tient le rythme. Prends la table, puis enchaîne sur un virage à droite, avant de s’envoler en haut de la vague. C’est à ce moment précis qu’il perd le contrôle de sa moto. À trois mètres au-dessus du sol, il retombe sur les fesses. Ondes de choc. Sa colonne vertébrale se brise instantanément. Le jeune pilote est conscient, mais plus rien ne répond. Une douleur atroce l’envahit. Les commissaires ne jugent pas nécessaire d’arrêter la course. Les autres coureurs le frôlent sans s’imaginer un instant de la gravité de sa blessure. Des secours bidons, le tirent hors de la piste. De l’autre côté, dans les gradins, ses parents s’impatientent de le voir terminer son tour tandis qu’on le transfère, sur une planche de bois, dans une ambulance comme on en faisait dans les années 90. Direction l’hôpital. C’est seul, qu’il fait l’heure de trajet, sur une route sinueuse. Personne ne parle un mot d’Anglais. Axel ne capte rien des échanges à son arrivée aux urgences. Il faut l’opérer. Le chirurgien procède à l’ablation de la vertèbre lombaire. Le verdict est sans appel. Axel Alletru est paraplégique.

Rapatrié en France, le pire semble derrière lui. Handicapé, mais pas résigné. Axel décide de repartir de zéro. C’est un fait. Il ne peut plus marcher et encore moins revenir en arrière.

« L’Espoir », le centre de rééducation à Lille, porte bien son nom. Avec ses parents, ce sera sa seule lueur.

Sa première claque, il la prendra lors d’un examen médical, incapable de tenir assis sur une table de kiné. « C’est là que je comprends la réalité ». Alors déterminé à se reconstruire, il se fixe de petits objectifs, accompagné d’Anne Ryckelynck, sa kinésithérapeute. Se tenir debout dans l’eau, se déplacer à l’aide des barres parallèles, récupérer ses quadriceps. Ses journées sont parfois interminables, à l’image de ce 14 juillet. Alors que tous les jeunes de son âge se retrouvent pour siffler des bières, devant le feu d’artifice, lui n’aura le droit qu’aux réflexions des lumières qui scintillent de l’autre côté des vitres de sa chambre. Deuxième claque.
Mais un jour, une bouffée d’émotion l’envahi. Axel reste scotché devant une compétition de natation. Il se prend à rêver de sport. À nouveau. Les jeux paralympiques, une médaille, un podium, des drapeaux, la Marseillaise.

L’objectif est fixé. Rio 2016. Avec Anne, ils forment une team au sein du club de natation Ronchin. Le grand gaillard, avale des longueurs et du chlore au rythme du chronomètre de la kiné, transformée en coach. Ses spécialités sont le cinquante mètres papillon et la nage libre. La rééducation se transforme en préparation. Un an jour pour jour après son accident, Axel participe au championnat de France handisport. « Capitaine », son surnom, accumule les victoires et claque quelques records. Au total dix titres de champion de France et six Européens. Ses performances lui permettent de se qualifier pour les Jeux paralympiques. On y est, après cinq ans d’entraînement, le rêve devient réalité.

Oui, mais voilà, deux mois avant la cérémonie d’ouverture à Rio, le comité décide de revoir sa classification. Après une batterie de tests sur une table de kiné, on le maintient dans sa catégorie S7. Puis, il saute dans le grand bain sous les regards d’experts. Ses moindres mouvements sont examinés. Le cobaye doit justifier de son handicap. Sa rééducation et le peu de muscle qui lui reste dans ses jambes vont le reclasser. Trop valide pour les invalides. Direction la catégorie S8. Impossible de rivaliser avec les autres nageurs aux mollets saillants. Pour la deuxième fois de sa vie, il est stoppé dans son élan. À vingt-sept ans, c’est la fin du chapitre aquatique. Il raccroche le maillot et claque la porte de la piscine.

Du coup, Axel part s’évader aux Sables-d’Olonne, dans le nouveau jardin de ses parents. Comme avant. Il descend la forêt à vélo électrique, tandis que son père trace une piste de buggy sur ses terres. Ensemble, avec Jean-Marie, ils passent leurs journées à bricoler un bolide à quatre roues. Alors le grand blond revient à ses premiers amours. Le sable, les dunes, les sauts, l’adrénaline. La machine se remet en marche. Objectif, le Dakar 2020. Il troque le fauteuil roulant pour un baquet en catégorie SSV. Le Nordiste s’aligne au milieu des valides pour deux semaines dans la poussière Saoudienne, épaulé de son co-pilote François Beguin et des vingt-cinq Chti’s qui composent sa team.

À 29 ans, après huit-mille kilomètres sur le sable, Axel termine septième du général, premier Français et premier en véhicule « série ». La voilà sa revanche.

« Tout est possible », titre La Voix du Nord.
C’est peu dire.

Photos & texte - Julien Soulier