ÉLODIE CLOUVEL



Il fut un temps où l’on testait les hommes, dans une série de cinq épreuves sportives, à la recherche du soldat parfait. Le guerrier idéal. On appelait ça le pentathlon. Puis, cette discipline olympique s’est modernisée après la révolution des mentalités, laissant les femmes entrer en scène. Jusqu’à ce jour d’été 2016, Élodie Clouvel, cavale, mâchoire serrée, en direction de la ligne d’arrivée. Elle devient la première athlète Française à décrocher une médaille olympique en pentathlon moderne. Portrait d’un gladiateur au féminin, actuel numéro un mondial d’un sport, dont le mental est parfois plus important que la foulée.

Chez les Clouvel, le sport est inscrit dans l’ADN. Fille de deux coureurs de fond professionnels, Élodie est biberonnée à l’effort. À cinq ans, alors que les autres enfants de son âge ont à peine les aptitudes physiques pour jouer à la balle au prisonnier, la gamine termine un relai, aux côtés de ses parents. Les bras levés, elle savoure sa première compétition. Pas étonnant de la voir, plus tard, avaler le dénivelé du sentier aux abords de sa maison, sur les hauteurs de Rochetaillée, un petit village proche de Saint-Étienne. Le parcours du «Gouffre d’Enfer», comme l’appelait son père. Un nom à cauchemarder.
En 2004, Élodie se décide. Ce sera la natation. Elle quitte le foyer pour s’entraîner avec Richard Martinez avant d’être scotchée par les performances de Laure Manaudou à la télévision. En 2007, direction Canet-en-Roussillon. La voilà dans le grand bain, aux côtés de Philippe Lucas, l’entraîneur de son idole. Forgée dans le culte de la performance par la grande gueule du sport français, la jeune nageuse enchaîne les longueurs pendant des heures, au point d’en pleurer dans ses lunettes. Par jour, c’étaient dix-huit kilomètres. Un programme d’acharnée. Pendant l’hiver, une buée épaisse envahissait la piscine permettant aux filles de gruger une série de dos crawles, planquée sous l’eau avec juste ce qu’il faut pour respirer. Avant de prendre une planche dans la gueule pour y retourner. À dix-huit ans, Élodie est dans le top vingt Français. Mais elle est stoppée dans son élan, après un échec en qualification. Pas de voyage à Pékin. Il est temps pour la jeune femme de se retirer, les Jeux olympiques attendront.



Sans transition, l’athlète est contactée par la Fédération Française de pentathlon moderne, persuadée de trouver en elle l’élue d’une discipline qui voit les femmes prendre leur revanche sur le passé. Rappelons que, pendant des décennies, ces mêmes femmes étaient tenues à l’écart des compétitions. Son rôle était de donner des enfants à la nation. Rien de plus. Une autre époque.
L’image du gladiateur au féminin la séduit. En 2008, Élodie part au combat. Escrime, natation, équitation et un combiné de tir au pistolet et de course à pied. Elle s’entraîne trente heures par semaine pour ressembler au soldat parfait. Mais le plus dur est de gérer ses émotions pour se forger un mental d’acier. Car, en un rien de temps, tout peut basculer. À l’image de cette épreuve où la jeune femme est restée tétanisée sur un cheval, la peur de tomber. Sa chute sera finalement au fond du classement. L’histoire possède aussi une autre face cachée. Souvent dissimulée par les sportives, signe de fragilité. Épargnée par les pépins physiques, sa seule blessure sera psychologique. Déterminée à performer pour les olympiades, la jeune femme s’attache les services d’un préparateur physique indépendant. Un mec rusé, qui pendant des mois la manipule. Sous l’emprise d’un type dont le seul talent était de terroriser, la sportive se met à l’écart du groupe, bousillée par sa méchanceté. C’est grâce à Meriem Salmi, une psychologue, qu’Élodie trouve la force de repartir au combat. Celle qui accompagne Teddy Riner depuis l’adolescence, réalise chez la jeune femme un travail de fond. En systèmie dit-on. L’esprit libre, la sportive peut maintenant performer.  
 
Jeux olympiques de Rio , août 2016. Il est huit heures du matin. Sur la piste d’escrime, Élodie, masque et cuirasse métallique ajustés, enchaîne les assauts avec la pointe de son épée. Les touches gagnantes se succèdent sans intervalle. Puis, direction la natation, sous un soleil de plomb. Élodie, bonnet blanc, s’installe sur la ligne d’eau numéro cinq. L'épreuve du contre-la-montre, sur deux-cents mètres, une distance qu’elle affectionne tout particulièrement. Après un départ timide, la nageuse revient rapidement sur ses principales concurrentes. La respiration en deux temps, Elle est en tête avant de voir la russe prendre la vague tandis que la Britannique explose. La française s’adjuge la deuxième place.

Vient l’équitation, son talon d’Achille. Élodie se présente sur le parcours de douze obstacles. Meteoro, son cheval tiré au sort vingt minutes auparavant, est l’une des rares montures à ne pas avoir fait de faute. Elle se sent portée. Concentrée, la cavalière enchaîne les sauts à l’image de ce mur bien négocié. Elodie termine en beauté, maitrisant la double avec grâce. Le point levé, comme à ses cinq ans.

Dix-huit heures. L’heure de vérité. La flamme olympique est allumée. Seuls quelques points séparent la Française, deuxième, de ses principales concurrentes. Combiné course à pied et tir au pistolet. Trois milles deux cents mètres de parcours sont tracés avec des plots sur le gazon de la piste d’équitation.

Élodie, dossard numéro deux, s’élance pour cette dernière épreuve et quelques tours de piste. Dès le départ, l’Australienne impose un rythme d’enfer. Dans les gradins bien remplis, la foule s’agite. Arrêt au stand de tir. La main sur le bassin, elle maîtrise sa respiration et vise les cibles situées à dix mètres, avec calme et précision, avant de repartir comme un boulet de canon. Galvanisée par les encouragements, Élodie parvient à franchir la ligne d’arrivée en deuxième position. C’est historique. Une médaille d’argent. La jeune femme devient la première Française à être titré en pentathlon moderne.



Elle récidivera à plusieurs reprises lors des championnats du monde ou en relais mixte avec son compagnon Valentin Belaud, athlète lui aussi. Actuelle numéro une mondial, la française, comme tous les autres sportifs, voient les jeux de Tokyo reportés et les championnats du monde annulés.

Alors le temps de connaître la destinée des prochaines compétitions, Élodie se met à rêver d’enfant. Et comme elle est programmée pour gagner, il ne lui reste plus qu’à remporter l’or avant l’épreuve de l’accouchement. Histoire d’effacer ces vieilles mentalités qui n’appartiennent dorénavant qu’au passé.

Photos & texte - Julien Soulier
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