Enzo Lefort - À la pointe du Fleuret
Juillet 1996, sur les hauteurs de Gourbeyre en Goudeloupe, Enzo installe un matelas dans le salon pour camper devant la télévision. De l’autre côté de l’écran, en direct d’Atlanta, se dispute la finale olympique d’escrime. Un duel de dames. Deux françaises se font face. Laura Flessel, la Guadeloupéenne adepte des touches portées au pied, et Valérie Barlois, Parisienne survoltée au style bondissant. Enzo ne sait plus sur qui ou sur quoi fixer son attention. Trop de tension pour un gamin de cinq ans. À la quinzième touche, Laura porte le coup de grâce. Pour sa première participation, la Guadeloupéenne remporte la médaille d’or dans la sobriété. Juste un petit geste de victoire, rien de démonstratif. C’est une histoire de respect. Enzo, subjugué, ne l’oubliera jamais.
C'est au club de Basse Terre, celui planqué sous le cinéma de la ville, qu’Enzo se refait le film. La même année, il débute sous les ordres du maître d’armes Remy Moderne. Un puriste, un mec à l’ancienne connu pour sa discipline et ses coups de fleuret dans les mollets. Enzo y découvre l’art de se déplacer avec agilité.
Très vite il enchaîne les compétitions à l’étranger. Un vol le jeudi après l’école pour affronter les autres gamins avant de rentrer rattraper les cours dès la sortie de l’aéroport. Une scolarité hachée qui déplaît à ses deux parents enseignants. Adolescent, il est détecté par l’entraîneur national lors d’un tournoi. On lui propose le pole espoir en Métropole. Malgré ses lacunes tactiques, Enzo est le douzième choix. Un pari sur l’avenir. Après avoir fait plier l’autorité parentale, à l’usure, il débarque à seize ans à Châtenay-Malabry. Son mètre quatre-vingt-dix habillé en jean baggy et t-shirt triple XL de marque « cainri » se distingue des autres jeunes sportifs. Lefort a son style bien à lui. Créatif, athlétique et imprévisible. Sur la piste on le reconnait à son déplacement. Tel un funambule, il recule à toute vitesse avant de s’arrêter sur la ligne avec agilité et s’élancer au-dessus de son adversaire pour le contrer. Sa spécialité.
À dix-neuf ans, il devient champion de France junior avant de rentrer à l’INSEP. Situé le long du bois de Vincennes, en région parisienne, ce temple du sport héberge l’élite Olympique. La crème de la crème des athlètes français. On y forme des Teddy Riner, Tony Parker, Ladji Doucoure depuis des années. Son poster de l’escrimeur Brice Guyart se transforme en adversaire. Ici, on gagne le respect en gagnant ses matchs. En 2012, à vingt ans, Lefort joue dans la cours des grands avec un premier titre de champion de France senior, ainsi que vice-champion d’Europe par équipe avant d’être sélectionné pour les Jeux olympiques de Londres. Ses premières Olympiades et les dernières de Laura Flessel. Seize ans après Atlanta. En tête de cortège lors de la cérémonie de clôture, Laura est notre porte-drapeau au côté d’Enzo. À l’extinction de la flamme Olympique, signe de la fin de son immense carrière, Laura pleure sur les épaules d’Enzo laissant couler ses larmes et son maquillage sur ce sweat qu’il n’a plus jamais lavé. Un passage de témoin de l’idole à la relève.
Bosseur invétéré et un escrimeur passionné, Enzo n’en reste pas moins un bon-vivant. Il aime les restos, sortir pour décompresser. Un style de vie qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’institution. D’autant plus que malgré des résultats satisfaisant en compétition, Enzo reste l’espoir. Un mec qui aime sa zone de confort, souvent incapable de trouver les ressources nécessaires pour faire la différence. Alors on veut le discipliner, faire de Lefort un nom exemplaire. En 2013, il est privé de championnat du monde. En réaction, pour regagner sa place en début de saison olympique Enzo fait des concessions pour améliorer son hygiène de vie et enfile le costume d’athlète modèle. Celui qui fait ses nuits, boit des jus et aime la devise « No pain, no gain ». Une vie bridée qui tourne à l’humiliation. Malgré les efforts, Enzo signe son pire début de saison avec une branlée en compétition face à un jeune. Un 15-6 qu’il n’oubliera jamais. À l’approche des Jeux Olympiques de Rio, le directeur technique national lui dit « ressaisis-toi, on a besoin de toi. Vis ta vie » Pas besoin de lui dire deux fois. Il repartira du Brésil avec une médaille d’argent et un mal de crâne. Il fallait bien fêter ça.
Bosseur invétéré et un escrimeur passionné, Enzo n’en reste pas moins un bon-vivant. Il aime les restos, sortir pour décompresser. Un style de vie qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’institution. D’autant plus que malgré des résultats satisfaisant en compétition, Enzo reste l’espoir. Un mec qui aime sa zone de confort, souvent incapable de trouver les ressources nécessaires pour faire la différence. Alors on veut le discipliner, faire de Lefort un nom exemplaire. En 2013, il est privé de championnat du monde. En réaction, pour regagner sa place en début de saison olympique Enzo fait des concessions pour améliorer son hygiène de vie et enfile le costume d’athlète modèle. Celui qui fait ses nuits, boit des jus et aime la devise « No pain, no gain ». Une vie bridée qui tourne à l’humiliation. Malgré les efforts, Enzo signe son pire début de saison avec une branlée en compétition face à un jeune. Un 15-6 qu’il n’oubliera jamais. À l’approche des Jeux Olympiques de Rio, le directeur technique national lui dit « ressaisis-toi, on a besoin de toi. Vis ta vie » Pas besoin de lui dire deux fois. Il repartira du Brésil avec une médaille d’argent et un mal de crâne. Il fallait bien fêter ça.
2019, l’année de la concrétisation. Championnats du monde à Budapest. Enzo a vingt-sept ans et s’apprête à devenir père. Après des qualifications bien maitrisées, le voici en finale face au Britannique Marcus Mepstead. Avec une élégance déconcertante, imperturbable, il trouve la faille à quatorze reprises avant de décrocher l’or et de crier sa rage. 15-6, un clin d’oeil à sa défaite de sa vie bridée. Enzo devient le premier fleurettiste tricolore à remporter l'or depuis 1990.
Aujourd’hui, dans l’attente des jeux de Tokyo, reportés pour cause de pandémie, Enzo s’est réfugié dans la photographie. Sa deuxième passion. Il signe « Behind the mask », un livre qui tire le portrait de ces hommes et femmes en tenue d’escrime. Puis il entreprend un projet de documentaire sur la culture de l’escrime en Guadeloupe et son déclin. Car derrière le masque de Lefort se cache bien plus qu’une simple vision d’athlète.
Photos & Texte - Julien Soulier
Creative direction - David Bellion & Julien Soulier
Aujourd’hui, dans l’attente des jeux de Tokyo, reportés pour cause de pandémie, Enzo s’est réfugié dans la photographie. Sa deuxième passion. Il signe « Behind the mask », un livre qui tire le portrait de ces hommes et femmes en tenue d’escrime. Puis il entreprend un projet de documentaire sur la culture de l’escrime en Guadeloupe et son déclin. Car derrière le masque de Lefort se cache bien plus qu’une simple vision d’athlète.
Photos & Texte - Julien Soulier
Creative direction - David Bellion & Julien Soulier
Coordination - Pascale Savary