Marine Boyer. La gym, le corps et l’esprit. 


Marine Boyer et son mètre soixante s’élance dans la grande salle de gym de l’Insep, aux abords du bois de Vincennes. La jeune femme rebondit et enchaîne les saltos sous l’œil d’une gamine du pôle espoir.

Bien loin des clichés des physiques épurés qui étaient la norme dans le passé, Marine fait partie de cette nouvelle génération d’athlètes qui s’assume. Dans une discipline où façonner le corps des filles a longtemps été un art, les codes et mentalités ont changé ces dernières années.
À 21 ans, la capitaine de l’équipe de France est de retour aux affaires, éloignée pendant plusieurs mois des tapis après des jeux olympiques qui l’on fait douter.

Pour Marine, l’envie de faire de la gymnastique commence dès l’école, comme pour beaucoup de petites filles. Un centre de loisirs, des trampolines et un terrain de jeux coloré. Pas étonnant de voir des bus entiers d’écolières débarquer aux compétitions. Faut dire que les détections commencent dès le CE1.
Son agrée de prédilection, la poutre. Elle excelle dans les clubs de Meaux et Melun, avant de se blesser à l’épaule la veille d’intégrer l’Insep (Institut National du Sport et de l’expertise). A tout juste 14 ans, elle se retrouve sur la touche pendant une année. Mais la gamine va s’accrocher et prendre son envol au championnat d’Europe sous le regards de ceux qui lui proposaient le trampoline comme béquille. Marine pose finalement ses quartiers dans le temple de l’olympisme français.

Sous les ordres d’Hong et Jian Fu, un duo d’entraîneurs chinois, la jeune femme enchaîne cinquante répétitions en une journée. Elle travaille sa rigueur pour éviter une blessure qui mettrait fin à ses espoirs de haut niveau. D’autant plus que Marine a changé. Son corps s’est formé.
Il y a un avant et un après la puberté. L’insouciance de la jeunesse laisse place à la gestion et l’acceptation de son physique.
Dans une discipline où la fin de l’adolescence rime avec fin de carrière, le rapport entre corps et performances fait de la gym un sport exigeant.
Avec le temps les codes ont évolué. Les physiques plats et légers se sont modelés. Les filles ajustent leur corps à la performance. La norme a été remplacée par des muscles assumés. Marine a mis du temps avant de gérer cet aspect. Au début le moindre kilo l’a fait douter. Sa souplesse, son dynamisme , sa tonicité, tout est impacté. A l’approche des jeux elle s’impose des diètes. Elle s’entraînait parfois six heures d’affilée avec juste une pomme dans l’estomac. Alors plutôt que de se blesser, Marine s’est musclé pour se porter.
Maintenant il faut aussi accepter le regard des autres. Dans un justaucorps les moindres formes se dessinent. La graisse, les muscles, les fesses, les seins, tout se voit.

Pour ses premières olympiades à Rio, elle s’est révélée. Propulsée au milieu de l’élite du sport mondial, sa naïveté a gommé toute crainte du danger ou doutes. Elle y est allée l’esprit léger et termine quatrième, au pied du podium. Juste derrière Simone Biles. Cette même gymnaste américaine qui a fait bouger les lignes de ce sport en avouant ce qui a longtemps été caché. Comme un signe, ces jeux marquent une transition pour Marine. Celle du statut d’espoir à potentielle médaillée. Les compétitions ne se jouent plus au talent. La tête, mécanisme du corps, doit rester concentrée dans un sport où l’art d’être jugé fait partie du métier. Il faut coordonner son cerveau et son corps dans les airs. Les imperfections doivent être maitrisées . Les émotions supprimées. 


Marine découvre cette pression mais va devoir gérer car elle est nommée capitaine de l’équipe de France. Melanie, Aline, Carolann, Coline et Celia. Les coéquipières. Sa « deuxième famille » comme elle l’appelle. Des gymnastes sur qui elle peut compter. Tout comme les entraineurs et la structure qu’elle considère comme bienveillante à son égard. Chacune a besoin l’une de l’autres pour s’améliorer. Marine prend la parole pour exprimer ce que le groupe ressent. Comme l’avait fait, à ses débuts, la gymnaste Youna Dufournet quand elle a pris Marine sous son aile. Tel un passage de témoin, elle assume son rôle. Penser aux autres avant de penser à soi.

Juillet 2021. Tokyo. Marine fait partie des filles sélectionnées pour représenter la France sur la scène olympique. Ses deuxièmes jeux. Après des qualifications bien maitrisées, les gymnastes sont en finale des épreuves par équipes. Quatre agrès pour briller. Le concours général. Tous les passages comptent. Une simple erreur pénalise toute l’équipe. Après l’épreuve des barres, Marine se présente sur la poutre. Les trois premiers mouvements sont réussit, mais surboostée par un trop plein d’énergie la jeune femme n’arrive plus a gérer sa concentration. Enervée d’être stressée. La tête n’est plus à la gym. Sa seule envie est d’en terminer. Sa réception est mal maitrisée, laissant filer de précieux points. À charge de revanche, Marine se présente pour l’épreuve du sol. L’objectif est de grappiller les moindres dixièmes pour se racheter. Dans son juste au corps blanc pailleté, la jeune femme sent la pression monter. Un regard vers ses coéquipières. Elle fixe l’extrémité. La musique « Don’t Stop Me Now » de Queen résonne dans une salle vidée de tout publique. Covid oblige. Elle l’a choisi elle-même avec son kiné car ce titre est classé comme étant celui qui rend le plus heureux les gens. Marine respire profondément avant de se lancer. Elle enchaîne les figures. Double vrille et demi Salto. Double arrière groupé. Double arrière carpé. Elle étale toute la panoplie.
Mais cela ne suffira pas. Pour la deuxième fois elle passe à coté d’une médaille. A ce moment elle a juste envie de tout plaquer. Cut, il faut maintenant oublier.
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Après un long break, Marine se retrouve aux étoiles du sport. Un programme qui a pour but de rassembler les talents du sport français. Elle va se reconnaître dans le discours de Muriel Hurtis, ancienne gloire du sprint français. Pour elle, les sportifs doivent pouvoir évoquer leur santé mentale avec autant d’aisance qu’ils parlent de leurs blessures physiques. Marine revient apaisée. Elle assume d’avoir besoin d’être accompagnée. Après tout c’est peut être sa plus belle victoire d’accepter de ne pas être parfait.

Photos & Texte - Julien Soulier
Creative direction - David Bellion & Julien Soulier
Production - Julien Soulier pour Sport Étude Magazine